
Ils sont deux, toujours, entrent se saisissent de moi
et m’enferment dans leur fourgon blanc. Quelques minutes plus tard la porte
arrière du véhicule s’ouvre, ils me conduisent dans ce centre, je reste seul
dans ce hall d’entrée. Jamais je n’aurais imaginé entrer dans un tel lieu, je
n’en connaissais même pas l’existence d’ailleurs. J’ai découvert ce nouveau
monde, par hasard, par accident devrais-je dire il y a quelques mois. Je n’aime
pas cette ambiance, je n’y suis pas à ma place, je n’ai rien à foutre ici au
milieu de ces blouses blanches aux sourires convenus, j’ai accepté ce transfert
pour changer de lieu tout simplement, j’en avais marre de mon ancien centre de
détention, me rapprocher des miens surtout. Je me pose des tas de questions
assis comme un con dans mon fauteuil au milieu de ce hall, je suis une sorte de
détenu, prisonnier de mon corps dont je ne sais quoi faire, ma peine d’intérêt
n’est pas générale, elle est personnelle, pas en redressement, mais en
rééducation. C5, C6, j’ai pas encore le permis, mais j’ai le sentiment d’avoir
été victime d’un carambolage dans une concession Citroën, j’ai plaidé non
coupable, mais le juge en a décidé autrement, je dois me rééduquer.
L’impression d’être ailleurs, ma tête n’intègre pas la
réalité de ma situation, en moi, je suis toujours le même, comme tout les
jeunes de mon âge finalement, insouciant, sportif, je ne me préoccupe pas
réellement du lendemain. Mais en fait aujourd’hui j’ai le sentiment d’être deux
personnes à la fois, mon esprit qui ne change pas radicalement et mon corps que
mon esprit ne semble plus contrôler. Ces deux personnes mènent un combat en
moi, et pour l’instant j’en suis comme le spectateur, j’attends de voir la
suite.
Découverte d’un nouvel environnement, un nouveau
centre de rééducation, le dernier m’avait laissé un gout amer, je n’avais pas
réellement compris ce que j’y faisais, ce que je pouvais y faire, incapable de
bouger, à quoi bon faire de l’exercice, je ne gérais rien de moi-même. En quoi
cela pourrait être différent ici ? Le médecin m’explique le programme,
elle semble à l’écoute, même si je ne dis rien, je reste impassible de toute
façon je ne sais pas quoi répondre ne sachant pas à quoi m’attendre ni même
quoi espérer. Rencontre avec les personnes chargées de s’occuper de mon cas,
elles sont souriantes, énergiques, mes réponses sont automatiques, par
politesse simplement, je préfère cacher mes émotions sous ma capuche, demeurer
impassible. On me conduit d’une salle à l’autre au fil de la journée je repère
les lieux, rencontre des thérapeutes différents, des gens sur des tables, entre
des barres, devant des tableaux, tous ont l’air de se satisfaire de leur
présence en ces lieux. Mais comment peuvent-ils prendre leurs condamnations à
la légère ? Je me rends compte
bien vite qu’en comparaison avec mon ancien centre, ici les détenus ont des
casiers bien plus léger, je dénote un peu dans l’ensemble.
Mon cas semble attirer l’attention de bien des détenus
ici, je croise des regards, je surprends des conversations, sans cesse les mêmes
questions que l’on me pose, qu’est ce qui t’es arrivé, qu’est-ce que tu as eu,
pourquoi toutes ces interrogations insistantes alors que moi je ne cherche qu’à
ne plus trop penser à ça ? Pas l’intention de me raconter à tous,
j’esquive, je détourne, je transforme la réalité, ils sont contents parfois,
perplexes souvent, et moi tranquille jusqu’au prochain.
Au fil du temps je fais de drôles de rencontres dans
ce centre, certaines moins bonnes que d’autres. Cela peut aller du jeune
cascadeur à scooter qui a déjà tout connu dans sa vie, à la personne âgée qui
va me faire la morale, beaucoup viennent se plaindre de leur sort, ou beaucoup
me disent qu’ils comprennent. Mais ils comprennent quoi ? Je réalise
malgré tout, qu’un médecin peut être à l’écoute, sans m’imposer ses décisions,
je m’aperçois que les thérapeutes font souvent le maximum pour améliorer mes
chances dans mon combat, je comprends que les infirmières et aides soignantes
sont là pour m’épauler dans tous les instants y compris les plus désagréables
de mon séjour.
Mais s’il est des rencontres
que je dois retenir, il y en a deux que ne suis pas prêt d’oublier. Un détenu,
n’ayant plus le contrôle total de son corps non plus, qui est arrivé vers moi
sans me poser de questions, il m’a fait part de son expérience, m’a écouté sans
juger, il prend les choses avec humour, quelqu’un qui a du cœur et un mental de
résistant. Une kiné, gourou sensible au bien être du physique et de l’âme de
ses disciples, Marianne, qui à force d’insister, a su comprendre mon fonctionnement,
m’a redonné le sourire, une certaine joie de vivre, l’envie de me battre et la
motivation de retrouver une certaine forme de liberté. Je sais désormais que ma
détention n’est pas une fin en soi, elle est provisoire, je suis entrain de
reprendre les armes pour découvrir une nouvelle liberté !
Mise en mots : Kryzstof