vendredi, juillet 01, 2016

Détenu

Ils sont deux, toujours, entrent se saisissent de moi et m’enferment dans leur fourgon blanc. Quelques minutes plus tard la porte arrière du véhicule s’ouvre, ils me conduisent dans ce centre, je reste seul dans ce hall d’entrée. Jamais je n’aurais imaginé entrer dans un tel lieu, je n’en connaissais même pas l’existence d’ailleurs. J’ai découvert ce nouveau monde, par hasard, par accident devrais-je dire il y a quelques mois. Je n’aime pas cette ambiance, je n’y suis pas à ma place, je n’ai rien à foutre ici au milieu de ces blouses blanches aux sourires convenus, j’ai accepté ce transfert pour changer de lieu tout simplement, j’en avais marre de mon ancien centre de détention, me rapprocher des miens surtout. Je me pose des tas de questions assis comme un con dans mon fauteuil au milieu de ce hall, je suis une sorte de détenu, prisonnier de mon corps dont je ne sais quoi faire, ma peine d’intérêt n’est pas générale, elle est personnelle, pas en redressement, mais en rééducation. C5, C6, j’ai pas encore le permis, mais j’ai le sentiment d’avoir été victime d’un carambolage dans une concession Citroën, j’ai plaidé non coupable, mais le juge en a décidé autrement, je dois me rééduquer.
L’impression d’être ailleurs, ma tête n’intègre pas la réalité de ma situation, en moi, je suis toujours le même, comme tout les jeunes de mon âge finalement, insouciant, sportif, je ne me préoccupe pas réellement du lendemain. Mais en fait aujourd’hui j’ai le sentiment d’être deux personnes à la fois, mon esprit qui ne change pas radicalement et mon corps que mon esprit ne semble plus contrôler. Ces deux personnes mènent un combat en moi, et pour l’instant j’en suis comme le spectateur, j’attends de voir la suite.
Découverte d’un nouvel environnement, un nouveau centre de rééducation, le dernier m’avait laissé un gout amer, je n’avais pas réellement compris ce que j’y faisais, ce que je pouvais y faire, incapable de bouger, à quoi bon faire de l’exercice, je ne gérais rien de moi-même. En quoi cela pourrait être différent ici ? Le médecin m’explique le programme, elle semble à l’écoute, même si je ne dis rien, je reste impassible de toute façon je ne sais pas quoi répondre ne sachant pas à quoi m’attendre ni même quoi espérer. Rencontre avec les personnes chargées de s’occuper de mon cas, elles sont souriantes, énergiques, mes réponses sont automatiques, par politesse simplement, je préfère cacher mes émotions sous ma capuche, demeurer impassible. On me conduit d’une salle à l’autre au fil de la journée je repère les lieux, rencontre des thérapeutes différents, des gens sur des tables, entre des barres, devant des tableaux, tous ont l’air de se satisfaire de leur présence en ces lieux. Mais comment peuvent-ils prendre leurs condamnations à la légère ? Je me rends compte bien vite qu’en comparaison avec mon ancien centre, ici les détenus ont des casiers bien plus léger, je dénote un peu dans l’ensemble.
Mon cas semble attirer l’attention de bien des détenus ici, je croise des regards, je surprends des conversations, sans cesse les mêmes questions que l’on me pose, qu’est ce qui t’es arrivé, qu’est-ce que tu as eu, pourquoi toutes ces interrogations insistantes alors que moi je ne cherche qu’à ne plus trop penser à ça ? Pas l’intention de me raconter à tous, j’esquive, je détourne, je transforme la réalité, ils sont contents parfois, perplexes souvent, et moi tranquille jusqu’au prochain.
Au fil du temps je fais de drôles de rencontres dans ce centre, certaines moins bonnes que d’autres. Cela peut aller du jeune cascadeur à scooter qui a déjà tout connu dans sa vie, à la personne âgée qui va me faire la morale, beaucoup viennent se plaindre de leur sort, ou beaucoup me disent qu’ils comprennent. Mais ils comprennent quoi ? Je réalise malgré tout, qu’un médecin peut être à l’écoute, sans m’imposer ses décisions, je m’aperçois que les thérapeutes font souvent le maximum pour améliorer mes chances dans mon combat, je comprends que les infirmières et aides soignantes sont là pour m’épauler dans tous les instants y compris les plus désagréables de mon séjour.
Mais s’il est des rencontres que je dois retenir, il y en a deux que ne suis pas prêt d’oublier. Un détenu, n’ayant plus le contrôle total de son corps non plus, qui est arrivé vers moi sans me poser de questions, il m’a fait part de son expérience, m’a écouté sans juger, il prend les choses avec humour, quelqu’un qui a du cœur et un mental de résistant. Une kiné, gourou sensible au bien être du physique et de l’âme de ses disciples, Marianne, qui à force d’insister, a su comprendre mon fonctionnement, m’a redonné le sourire, une certaine joie de vivre, l’envie de me battre et la motivation de retrouver une certaine forme de liberté. Je sais désormais que ma détention n’est pas une fin en soi, elle est provisoire, je suis entrain de reprendre les armes pour découvrir une nouvelle liberté !   
                                                              
Mise en mots : Kryzstof 

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